Bâmiyân.

Le Kafiristan

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Antoine Stevenson
Antoine Stevenson

En atteignant les contreforts des monts Kuh-e-Sharga, nous réalisions que nous avions définitivement quitté l'étroite vallée du Wakhan. Après des jours de marche exténuante, nous arrivions au Kafiristan, l'un des territoires les plus isolés d'Afghanistan, niché sur le versant sud de l'Hindu Kush. La région était désignée par les musulmans comme le pays des infidèles, ses habitants étaient dépeints comme des païens rétifs aux enseignements du prophète qui se faisaient appeler Kafir.

Le paysage dégageait une sensation de sérénité, comme si le relief impitoyable qui l'avait isolé du monde extérieur l'avait également protégé des guerres et des invasions.

Mes lectures m’avaient appris que même si les Kafir avaient fini par se convertir de force, leurs pratiques religieuses étaient toujours teintées de bouddhisme et de zoroastrisme. Les habitants de la région étaient de lointains cousins des wakhis qui se faisaient appeler Kafir côté Afghan et Kalash au Pakistan. En arpentant l’unique route qui traversait la région, nous avions la sensation d’entrer dans un véritable bastion naturel fait de crêtes abruptes, de forêts denses et de ruines tumultueuses. Au-delà de la bourgade de Marawara, nous nous dirigâmes vers le sud en suivant le cours de la rivière Kumar.

Le long du chemin, bordé de grenadiers, nous traversions des champs de maïs bordés de bâtisses aux murs teintés d'ocre. Le paysage dégageait une sensation de sérénité, comme si le relief impitoyable qui l'avait isolé du monde extérieur l'avait également protégé des guerres et des invasions.

Inspiré par la beauté du paysage, je fis signe à Namgar et Choegya qui marchaient quelques pas derrière, de s'arrêter un instant, laissant le temps à Spendiar et les miliciens de nous rattraper. Je pris une profonde respiration avant de me confier à Namgar : « – Vous savez, la légende parle de peuple venus d’Europe ayant trouvé refuge ici. Ils ont probablement dû voir en ces montagnes un rempart protecteur, tout comme les Kafir le font aujourd’hui. » Namgar, l'air songeur, tenu à ajouter : « – Wakhis et Kafirs sont de même sang, nos racines sont mêlées. » Grisé par l'air pur de la vallée, je hochai la tête et ajoutai, « – C'est sans doute pour cela que chaque pierre, chaque vallon nous semble si étrangement familier. »

Spendiar, qui se plaignait de douleurs à la jambe gauche, suggéra que nous restions quelques jours à Marawara pour nous remettre et reconstituer nos provisions pour la suite du voyage. Nous profitâmes de cette pause pour libérer les deux miliciens wakhis qui nous avaient escortés depuis Baza i Gondab, leur permettant ainsi de retourner à leur campement où leurs familles les attendaient. Les miliciens nous firent leurs adieux avec émotion et enlacèrent Namgar qui continuait la route avec nous.

Nous reprenions notre marche le long de l'unique route, nous frayant un chemin à travers un maquis où l'arôme des cèdres fraîchement coupés se mêlait à celui des chardons en pleine floraison. L'odeur boisée des montagnes et le parfum doux de la forêt apaisaient nos esprits fatigués. Seuls le bruissement des feuilles caressées par le vent et le crissement de nos pas sur le sol venaient perturber ce silence respectueux.

Suite à plusieurs jours de marche éprouvante, les premiers hameaux en terre séchée, modestes et austères de la vallée de Bamiyan commençaient à se dessiner à l'horizon, reflétant la simplicité et la rudesse de la vie dans ces régions reculées. S'étirant sur une vingtaine de kilomètres, la vallée de Bamiyan était principalement peuplée de Hazaras, une ethnie majoritairement chiite, connue pour son hostilité envers les fondamentalistes talibans.

Spendiar me soutena que les Hazara avaient hérités leurs yeux bridés des hordes mongol de Gengis Khan qui avaient conquis la région. Les Hazaras avaient fait l’objet de persécutions lors de la première incursion des Talibans, qui les considéraient comme des hérétiques. Plus de quinze mille Hazaras avaient été massacrés, les yeux des grands Bouddhas de Bamiyan furent les premières cibles des talibans, d'abord mitraillés puis détruits à l'explosif, jusqu'à réduire les statues en poussière.