Bâmiyân.

Shahram Qurban

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Antoine Stevenson
Antoine Stevenson

En arrivant dans la vallée, nous prîmes la décision de nous présenter au gouverneur de la région, Sharham Qurban, afin de demander l'hospitalité. Le gouverneur nous attendait dans l'intimité de son élégant salon, éclairé par la lumière filtrant à travers des vitraux colorés. Dès notre entrée dans le salon, nos sens furent enivrés par les lourds parfums d'encens et de bois de santal, dont l'arôme emplissait la pièce.

Les traditions orales renforcent la thèse selon laquelle les kafirs, mais aussi les kalash du Pakistan pourraient être les descendants de peuple indo-européens.

Coiffé du pakol traditionnel, légèrement incliné vers l'arrière, le gouverneur Shahram Qurban avait des traits marqués et des yeux d'un bleu limpide, typique de la province. C'était un homme à la stature physique imposante. Nous invitant à nous asseoir, Shahram prit le temps de se présenter, expliquant qu'il était né à Hérat, dans l'ouest du pays, d'une mère Hazara et d'un père Tadjik. Tout en parlant, il fit un geste vers son bureau, où s'étalait une riche collection de livres en langue farsi, tadjik ou russe. Mon regard fut attiré par certains ouvrages sur le soufisme et le bouddhisme.

En nous accompagnant vers la sortie, il insista pour nous faire visiter un autel dédié à la déesse Avalokitesvara. Shahram nourissait la conviction que les peuples du Pamir partageaient un lien de sang, descendants d’un ancêtre lointain mais partagé. Il nous guida jusqu’au temple construit en bois habituellement réservé aux prêtres.

À mesure que nous progressions vers le temple, Shahram se lança dans le récit de l'histoire riche et mystérieuse de la région, captivant notre imagination. Alors que l’Afghanistan embrassait l’islam et son prophète, les Hazaras conservaient un panthéon de dieux à qui ils avaient dédié un art du bois raffiné. Malheureusement, nombre de ces statues païennes avaient été saccagées ou réduites en bois de chauffage par les talibans.

Après la courte visite du temple, Shahram nous convia, Namgar et moi, à partager un thé dans sa demeure située au fond d'une étroite ruelle. Le bâtiment se distinguait des autres par sa hauteur et son apparence soignée. Le pisé avait été revêtu d’une couche d’enduit blanc immaculé réflechissant les rayons du soleil. Poursuivant notre chemin à travers la maison, nous traversâmes un couloir orné de tapisseries colorées qui menait à un salon accueillant. Là, des coussins moelleux et richement brodés nous attendaient.

En s'y enfonçant confortablement, Shahram s’empara d’une aiguière de métal pour servir le thé. « – Vous savez, Lobsang, j'ai bien connu votre père à l'époque où il venait financer des ouvrages dans la région. C'était un homme d'une grande valeur. Je suis sûr que vous avez hérité de ses qualités. » déclara Shahram en me regardant avec estime.

Ses paroles bienveillantes me touchèrent profondément, et je sentis mes joues se teinter d'une légère rougeur avant de répondre : « – Moi et mon père, l'Aga Khan, ne nous sommes pas revus depuis Genève. Nos chemins ont divergé, bien que je garde un grand respect pour les œuvres de sa fondation. »

Tandis que le thé commençait à emplir les tasses, le porte s’ouvrit doucement, dévoilant une jeune femme à la silhouette élancée. Sa beauté et sa sagesse trahissait une ascendance noble, l’incarnation d’une princesse en exil. Avec une élégance naturelle, elle s’approcha, ses vêtements richement brodés bruissant à chacun de ses pas. Ses yeux bruns empreint de curiosité balayaient chacun d’entre nous du regard. Shahram la voix emprunt de fierté fit les présentations.

« – Voici Despina Hatun, ma nièce, héritière directe de la princesse Sharbanu. » annonça t-il. « – Elle et sa famille ont su préserver le culte zoroastrien de nos ancêtres jusqu’à aujourd’hui. » Despina s’inclina avec une grâce qui soulignait son rang, puis s’assit délicatement parmi nous. Ses doigts d’une finesse absolue contrastaient avec la rusticité de la céramique qu’elle effleurait.

« – Les échos du périple du fils de l'Aga Khan vers Bamiyan ont franchi monts et vallées avant même votre arrivée,« dit-elle en fixant les flammes du foyer pendant un instant avant d'ajouter, «Je ne suis pas Hazara. En réalité, je viens du Kafiristan que vous avez traversé. Les talibans nous appellent 'kafirs' pour notre supposée adoration du feu. »

Despina leva délicatement sa tasse à ses lèvres, la tenant des deux mains, avant de poursuivre : « – Les Zoroastriens du Wakhan ont été persécutés, contraints par les autorités de Kaboul à renoncer à leurs croyances ou à fuir. Les miens ont trouvé refuge dans la vallée de Bamiyan, où nous avons continué à pratiquer nos rites en secret. »

Son regard se replongea dans les flammes du foyer avant qu'elle ne continue. «Il existe une théorie fascinante concernant les Kafirs, » ajouta-t-elle. Intrigué, je m'avançai légèrement, captivé par ses paroles. « – Pouvez-vous nous en dire davantage ? »

Un sourire énigmatique illumina le visage de Despina. « – Il se murmure que les Kafirs seraient les descendants des légions grecques d'Alexandre le Grand. Ces hommes auraient fondé des familles avec les habitants de la région, donnant naissance aux tribus que nous nommons aujourd'hui Kafirs, et que vous avez rencontrées durant votre périple, » révéla-t-elle.

Namgar, les yeux brillants d’étonnement, intervint : « – Cela expliquerait donc les traits distinctifs des kafirs, si différents de ceux des autres ethnies de la région. » Despina acquiesça avec assurance. « – Bien que les preuves tangibles soient rares, les traditions orales renforcent la thèse selon laquelle les kafirs, mais aussi les kalash du Pakistan pourraient être les descendants de peuple indo-européens. Ces derniers auraient migré à travers l’Europe pour s’établir finalement aux confins de l’Hindu Kouch. »

Après avoir savouré plusieurs tasses de thé, Spendiar me fit discrètement signe qu'il était temps de prendre congé de nos hôtes. En effet, en regardant par la fenêtre, je remarquai que la nuit avait enveloppé toute la vallée sous un ciel étoilé.

Shahram se leva pour nous accompagner jusqu'au seuil de la porte. Alors que nous nous apprêtions à partir, il commença à entonner un chant dans une langue ancienne. Sa voix, grave et mélodieuse, s'élevait dans l'air, tandis que sa silhouette, faiblement éclairée par la torche qu'il tenait d'une main, se découpait contre le ciel nocturne.

Spendiar et Namgar paraissait captivés par ces mots qui flottaient dans l’air. Lorsque le silence retomba, les échos du chant persistait dans nos esprits. «Quelle est la langue dans laquelle vous récitez ces vers ?» demandai-je à Shahram, intrigué.

Avec une lueur dans le regard, Shahram répondit : « – C'est un chant ancien en langue Kalash. Un chant qui traverse les âges, évoquant nos origines, la bienveillance des montagnes de l'Hindu Kush, et une puissance mystique enfouie au plus profond de la terre. » Il marqua une pause, comme pour interpeller notre imagination. « – La légende dit qu’un élu, un jour dévoilera cette force. En l’éveillant, il apportera lumière et espoir, mettant fin aux souffrances de nos peuples. »

Touché je murmurai: « – Votre chant me rappelle une légende wakhis. » Shahram hocha la tête avec humilité: « – Dans les replis de l'Hindu Kush, bien des peuples connaissent cette légende, bien qu’elle varie d’une vallée à l’autre. Transmise par les moines voyageurs, elle a germé dans nos coeurs. Dans l’obscurité des nuits sans lune, elle nous rappelle de ne jamais perdre espoir. »

Les paroles de Shahram se mêlaient à la brise nocturne tandis que nous nous apprêtions à regagner notre campement. Alors que nous avancions, Shahram, élevant la voix, nous invita à revenir le lendemain pour prendre le thé. J'acceptai cette proposition avec enthousiasme, hochant de la tête en guise d’accord.