Bâmiyân.

L'Assaut de Bamiyan

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Antoine Stevenson
Antoine Stevenson

Après une nuit sans sommeil, je pris la direction de la résidence du gouverneur. Spendiar et Namgar, qui m'avaient accompagné la veille, préférèrent rester au camp pour achever l'installation de notre campement. À mon arrivée, l'accueil grave de Shahram contrastait nettement avec son insouciance de la veille. Il ne tarda pas à partager les raisons de son inquiétude : « – Lobsang, mes hommes m'ont informé de l'avancée rapide des troupes talibanes. Nous renforçons nos défenses, mais je dois être franc, la situation est extrêmement tendue. »

Ainsi, je me retrouvais à la tête d'une équipe d'éclaireurs, avec à mes côtés Namgar, Spendiar, Choegya, et d'une dizaine de miliciens Hazaras.

Je proposai l'aide de notre groupe sans même prendre la peine de consulter mes compagnons. Shahram nous avait offert l'hospitalité dans sa vallée ; il nous était impossible de lui refuser quoi que ce soit. Il me décrivit une situation qui allait en s’empirant. Les talibans s’approchaient et avaient entrepris de couper les routes menant à Bamiyan en y installant systématiquement des points de contrôle.

« – Si la vallée est encerclée, elle sera coupée durant l'hiver, plongeant notre peuple dans un isolement tragique. Les talibans bloquent déjà les camions de ravitaillement dans le but de nous affamer, » expliqua Shahram. Alors que nous discutions, un milicien Hazara, visiblement essoufflé, s'approcha et interrompit brusquement notre conversation : « – Gouverneur, les talibans avancent par le col en grand nombre, avec des armes lourdes! »

Je m'impliquai aussitôt dans la discussion : « – Vous nous avez offert l'hospitalité, en retour, vous pouvez compter sur notre aide. Bien que nous ne soyons pas nombreux, moi et mes hommes sommes jeunes, aguerris, et déterminés à ne pas nous rendre sans combattre.« Après avoir repris mon souffle, je précisai : «Nous pouvons former un groupe d'éclaireurs pour surprendre les talibans dans les hauteurs, et bloquer ainsi leur avancée dans la vallée. »

Shahram, après un moment de réflexion, approuva l'idée et me confia la responsabilité d'une unité chargée de déloger les talibans des crêtes de Bamiyan. Ainsi, je me retrouvais à la tête d'une équipe d'éclaireurs, avec à mes côtés Namgar, Spendiar, Choegya, et d'une dizaine de miliciens Hazaras. L'opération était prévue pour le soir même, afin de bénéficier de l'effet de surprise.

Shahram ordonna aux miliciens de m'accompagner à la caserne pour récupérer l'équipement nécessaire. Les magasins de l’armurerie étaient désespérément vides et n’étaient plus approvisionnés depuis fort longtemps, je n’eu guère l’embarras du choix. Les seules armes disponibles étaient de vieux fusils soviétiques que je dus me résoudre à utiliser.

De retour au campement, j'annonçai à mes hommes leur enrôlement dans le groupe d'éclaireurs. L'excitation se lisait dans les yeux de Spendiar et Choegya, tandis que Namgar semblait moins enthousiaste. « – Nous ne pouvons rester les bras croisés face à l'invasion de la vallée. Il est de notre devoir de soutenir les Hazaras, » déclarai-je sur un ton quasi péremptoire.

Alors que le soir approchait, juste avant le coucher du soleil, nous fûmes rejoints par le groupe de miliciens qui allait nous accompagner tout au long de la mission. Namgar, ayant une aversion pour les armes, se proposa d'agir en tant qu'aumônier. Ainsi, il prit la tête du groupe, se plaçant quelques mètres devant moi. À la tombée de la nuit, notre groupe se mit en mouvement. Namgar commença à réciter des mantras en sanskrit pour marquer le rythme de notre avancée : « – Om Namah Shivaya, » psalmodiait-il. Nous progressions lentement dans l'obscurité, dissimulés par les hautes herbes, en nous frayant un chemin le long de la crête. Les lumières de Bamiyan scintillaient encore dans la vallée, illuminant de rares silhouettes de miliciens Hazara qui montaient la garde sur les hauteurs des falaises.

En s’approchant, nous distinguions un fortin verrouillant l’accès à la route de Kaboul. Dans le silence de la nuit, un bruit métallique retentit : un taliban, enveloppé dans une longue tunique blanche, prit la relève de la garde. Alors que la relève changeait, nous profitâmes de l'obscurité pour nous immobiliser, dissimulés dans des fourrés couverts de givre.

Peu à peu, une lumière laiteuse, annonciatrice de l'aube, commença à envelopper le fortin dans des écharpes de brume. Profitant de ce moment, je murmurai un ordre que Choegya et Spendiar transmirent silencieusement aux miliciens Hazara.

Peu après, deux Hazara en salwars noirs surgirent derrière le taliban posté devant le fortin et l’égorgèrent. Le taliban s'effondra sans un cri. L'un des Hazaras le dépouilla rapidement de son armement tandis que l'autre nous fit signe d'avancer discrètement. Juste au moment où nous nous apprêtions à avancer, la situation prit une tournure inattendue. Un autre taliban, terminant sa ronde, émergea des feuillages et, voyant les deux miliciens en tuniques noires près de s'infiltrer, il ouvrit le feu dans leur direction et se mit à crier, déclenchant l'alarme.

L’effet de surprise était raté, les talibans se barricadèrent dans le fortin, nous obligeant à combattre jusqu’à l’aube pour les déloger. La plupart d'entre eux parvinrent à s'échapper, fuyant en direction de Kaboul. À l'aube, notre mission accomplie, nous redescendîmes vers la vallée où Shahram nous attendait, manifestement inquiet.

D’emblée mes propos furent rassurant: « – L'opération a été un succès. Mes hommes et vos miliciens ont combattu côte à côte, comme des frères. Nous avons repoussé les talibans au-delà des collines. »