Les Visions de Namgar



Une autre chose me préoccupait : Namgar semblait avoir disparu. Je demandai à Spendiar de ses nouvelles. Je notai un léger sourire narquois sur son visage lorsqu’il me répondit : « – Namgar s'est retiré dans une grotte après la bataille. Il semble qu'il ait besoin de temps pour réfléchir. »
Au sol, le sable formait un lit doux, parsemé çà et là de vieilles pierres sculptées, vestiges de civilisations lointaines.
Intrigué je le pressai d'en dire plus : « – Namgar a choisi de s'isoler, cherchant la quiétude loin de l'agitation de la vallée,» expliqua Spendiar. Il s’est réfugié dans une grande grotte située à quelques mètres des Bouddhas géants. La grotte portait le nom de grotte Qoul-i-Akram. » Ajouta Spendiar.
Je décidai de reporter mon départ pour le Panchir au lendemain, je voulais d'abord m’entretenir avec Namgar. En me dirigeant vers la grotte, j’aperçus des falaises, criblées d'une trentaine d'ouvertures s'échelonnant sur plusieurs niveaux et menant à un réseau complexe de cavités. Au sol, le sable formait un lit doux, parsemé çà et là de vieilles pierres sculptées, vestiges de civilisations lointaines.
Au pied de la falaise, j'identifiai aisément la Qoul-i-Akram, reconnaissable à sa grande ouverture oblongue. Je commençai alors l'ascension de la vingtaine de mètres menant à son entrée, perchée en hauteur. Cette ouverture, sculptée directement dans la falaise, offrait une vue vertigineuse sur le vide en contrebas, à seulement quelques mètres des imposants Bouddhas de Bamiyan.
Une fois arrivé sur la terrasse de la grotte, je fus frappé par des fresques murales en parfait état de conservation, représentant une frise de Bouddhas en méditation. La niche où je me trouvais semblait connectée à d'autres grottes par un réseau complexe de couloirs et de galeries. Je cherchai Namgar, mais il était difficile de déterminer où il pouvait se cacher. Les autres niches de la grotte abritaient des peintures et des sculptures, beaucoup d'entre elles étaient endommagées ou recouvertes de suie. Toutefois, la structure elle-même, avec ses voûtes et ses escaliers, laissait entrevoir l’ingéniosité de ses bâtisseurs. Dans l'angle sud-ouest de la grotte, à la frontière entre l'obscurité et la lumière, je trouvai Namgar allongé devant une fresque endommagée représentant le Parinirvâna, l'extinction totale après l'atteinte du nirvâna. Observant de plus près la fresque, je fus frappé par les similitudes entre la pose de Namgar et la silhouette paisible du Bouddha étendu, entouré de figures en deuil. Des arbres majestueux ainsi que les disques du soleil et de la lune encadraient la scène, ajoutant à son caractère solennel et méditatif.
Observant Namgar dans son sommeil paisible, je fus à nouveau attiré par la fresque derrière lui. La mandorle enflammée qui entourait la figure du Bouddha ajoutait une aura divine à la scène. C'est alors qu'un détail particulier de la fresque attira mon attention : au cœur de la mandorle, émanait une lumière mystique bleutée comme si la peinture elle-même recelait un secret ancien et puissant. Cette lueur, presque surnaturelle, apportait une profondeur supplémentaire à l'ensemble de la scène.
Mes yeux encore fixés sur cette touche de peinture bleutée, Namgar émergea soudain de son état léthargique. « – Vous aussi, vous voyez cette lueur au-dessus du Bouddha, n'est-ce pas ? » murmura Namgar, encore somnolent, son regard mi-clos n’avait pas encore tout à fait quitté le monde des rêves.
« – Oui, je la vois, » répondis-je, intrigué par cette lueur qui semblait hors du temps. « – Cela fait partie de votre méditation ? » demandai-je, curieux de comprendre l'expérience vécue par Namgar. Son état de semi-somnolence donnait à penser qu'il avait peut-être exploré des états de conscience modifiés devant cette fresque ancienne et mystique.
« – Cette lueur bleutée, c'est la poudre d'éther, c'est cette poudre qui donne des visions, » expliqua Namgar, avant de sombrer à nouveau dans le sommeil. Profitant de son assoupissement, je me penchai pour examiner de plus près la fresque. La mention de la poudre d'éther et ses effets supposés attisait ma curiosité et mon intérêt pour les secrets que cette fresque pouvait encore cacher.
Autour du Bouddha, la fresque représentait divers objets et personnages évoquant des récits de voyageurs venus de Chine et d'autres régions d'Asie. Malgré leur état détérioré, les personnages étaient encore discernables : moines, brahmanes, fidèles, tous paraissaient être attirés vers cette énergie mystique, comme si la poudre d'éther elle-même les avait guidés ici, en quête de conscience et d'illumination. Absorbé par la contemplation de la fresque, mon attention se porta sur deux figures : l'une debout et l'autre agenouillée. Ils semblaient représenter des génies spirituels. Au-dessus d'eux planait un hamsa blanc, symbole de pureté et de protection. Sur la droite, on pouvait distinguer la silhouette de Subhadra, dernier converti, selon la tradition.
La voix de Namgar résonna, me tirant de ma léthargie contemplative : « – La poudre d'Ether n'est pas qu'une légende, mais une manifestation concrète de l'énergie sacrée, » commença-t-il. Il marqua une courte pause avant de continuer : « – C’est cette poudre qui explique pourquoi tant de sages et de brahmanes ont convergé vers ce lieu, aspirant à s’approcher de cette source d’énergie pure. »
En écoutant les propos de Namgar, je ne pouvais m’empêcher de contempler la fresque, je remarquai un Vajkapâtra qui marqué par le chagrin se distinguait en étant vêtu d’un simple dhôti rouge, à ses côtés un vajra entouré de flammes et de motifs en losanges completaient la composition.
Lorsque Namgar se leva, je compris que quelque chose avait changé. Son regard brillait d'une lueur terrifiante. Il semblait être submergé par un déferlement de visions, comme plongé dans un chaos mental. Préoccupé, je l'encourageai à s’exprimer. « – La poudre m'a permis de transcender les sens, » confia Namgar. Il tenta de m'expliquer la nature réelle de la poudre d'Éther, qu'il décrivait comme un nectar mystique mais potentiellement néfaste.
Namgar, semblant vouloir relativiser ses propos, ajouta : « – La poudre d'Ether est omniprésente à Bamiyan. Elle est considérée comme la drogue des Bodhisattvas, ceux qui sont jugés dignes d'atteindre la pleine conscience. »
Les propos quelque peu éthérés de Namgar me captivaient. Son expérience semblait corroborer les récits du moine Xuanzang concernant l'existence d'une énergie mystique dans ces grottes. Je ne m'attendais pas à trouver des preuves concrètes et manifestes aussi rapidement.
Namgar, d'un ton grave, murmura : « – C'est un poison subtil, insidieux. On ne peut quitter Bamiyan sans en emporter une partie avec soi. » Puis il continua : « – La poudre d'éther a transformé ma perception. » Face à l'état troublé dans lequel semblait se trouver Namgar, je restais perplexe et attentif. «Je vais vous partager mon rêve éveillé,« reprit-il. Debout, les yeux à demi clos, il commença à dévoiler sa vision. « – Je vois la vallée de Bamiyan, transformée. Les Hazaras, libres dans leur foi, se rassemblent près des ruines des Bouddhas géants. Ils prient, ils méditent. »
J'écoutais Namgar avec une attention soutenue. «Je vois des stupas émerger du sol, tels des bourgeons. Les grottes s'illuminent de nouveau, et toi, Lobsang, en tant que guide suprême, tu orientes les novices vers le bouddhisme,« décrivait-il avec une intensité croissante. Reprenant son souffle, il ajouta : « – Je vois une grande pagode, immense, la plus grande d'Asie centrale, s'élevée à Bamiyan. À son entrée, une statue accueille les pèlerins. À travers les vitraux, on peut apercevoir les montagnes du Koh-i-Bada et les Bouddhas géants. » Sa vision avait un ton presque prophétique.
Épuisé par sa révélation, Namgar conclua : « – Ce mouvement de conversion qui s’emparera de la vallée deviendra semblable à une épidémie, redirigeant les visages voilés vers des ideaux d’illumination et de nirvana. »
Sur ces propos, Namgar replongea dans sa méditation léthargique. Le soleil se couchant, je décidai de prendre congé de Namgar pour regagner le campement où je devais finaliser les préparatifs de notre expédition vers la vallée du Panchir avec Choegya. Le départ avait été remis au lendemain et il nous restait encore beaucop à faire.