Bâmiyân.

Vers le Panshir

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Antoine Stevenson
Antoine Stevenson

Nous avions prévu avec Choegya de gagner la vallée du Panshir dès le lendemain. L’itinéraire exact restait encore à déterminer. Depuis les derniers affrontements avec les talibans, il était devenu quasi impossible de quitter la vallée sans être intercepté à l’un des points de contrôle.

Mes yeux furent captivés par des inscriptions calligraphiques en sanskrit, qui donnaient au véhicule une aura évoquant les caravanes parcourant jadis les routes de la soie.

Nous consacrâmes quelques heures à explorer diverses stratégies pour sortir discrètement de la vallée. A court de solutions, je sortis de la yourte pour me ressourcer. Devant moi, à quelques centaines de mètres, je pouvais voir le ballet incessant de jeunes Pachtounes chargés de ballots de tissus.

Observant attentivement, je remarquai que leur marche les guidait vers un camion orné avec exubérance, dont la carrosserie bleue était à peine visible sous l'abondance de motifs floraux et géométriques. L'un des hommes, que je supposais être le conducteur, se dirigea vers l'avant du véhicule.

Il grimpa dans la cabine surélevée, surmontée d'une coupole, en s'aidant de la roue avant du camion pour y accéder. Des frises symétriques ornaient chaque côté du véhicule alternaient avec des miroirs incrustés, ajoutant une touche d'élégance à son apparence robuste.

Au moment où le conducteur claquait la porte derrière lui, mes yeux furent captivés par des inscriptions calligraphiques en sanskrit, qui donnaient au véhicule une aura évoquant les caravanes parcourant jadis les routes de la soie. Une illumination traversa soudain mon esprit. Hâtant le pas hors de la yourte, j'interpella Choegya resté à l'intérieur : « – Vois-tu ce camion ? J'ai entendu murmurer dans la vallée qu'il navigue sans cesse entre le Pakistan et nos terres du nord. »

« – Oui, c’est le camion du marchand d’étoffe, un Pachtoune qui s’est enrichi en achetant du tissu au Pakistan pour le revendre ici et dans le nord du pays, » confirma Choegya. « – Ce camion pourrait nous rapprocher. Pourquoi ne pas essayer de nous y cacher ? »

« – Je n’y avais pas pensé, » répondit Choegya, « – mais il nous faut vérifier qu'il se dirige bien dans notre direction. » « – D’ici, il n’y a qu’une seule route vers le nord qui passe par Bagram puis Pol-e Khomri. Ce n’est qu’à partir de là que les chemins se séparent : l’un vers l'ouest mène à Kunduz, tandis que l'autre continue vers l'ouest jusqu’à Mazar-e Sharif. »

En approchant discrètement du camion sous le voile de la nuit, Choegya et moi fûmes saisis par la vision de deux divinités peintes de chaque côté du hayon. À notre droite, l'effigie de Tanu, la déesse du secours, veillait avec bienveillance, tandis qu'à notre gauche, Avalokiteshvara, le bodhisattva de la compassion infinie, étendait ses mille bras dans un geste protecteur vers le conducteur, comme pour guider et sauvegarder chaque kilomètre de son voyage.

Pénétrant à l'arrière du camion dans l'obscurité, Choegya et moi nous faufilâmes discrètement sous un amas de balles d'étoffes poussiéreuses. La promiscuité de notre cachette rendait l'air lourd et difficile à inhaler, chaque inspiration était mesurée, craignant qu'un simple murmure ne trahisse notre présence.

Alors que le camion s’ébranlait, la tension montait d’un cran, la route qui se profilait devant nous promettait d'être éprouvante, chaque respiration étant un défi, chaque mouvement un risque calculé. Dans cet espace confiné, où le moindre geste était prohibé, nous étions prêts à endurer ce voyage figés derrière les ballots de tissus.

Lorsque le camion s'ébranla, le grondement du moteur emplit l'air, dominant tout bruit de fond. La vieille mécanique du véhicule faisait un tel vacarme que nos propres mouvements étaient inaudibles dans notre cachette. La route, parsemée de nids-de-poule et rarement asphaltée, soumettait le véhicule à un ballet incessant de soubresauts, les roues peinant à rester en ligne, nous faisant tanguer d'un côté à l'autre sans répit.

Nous nous efforcions de conserver notre position en nous agrippant aux cordes fixant les ballots de tissus, pour éviter d'être éjectés par les virages brusques du camion. À maintes reprises durant le voyage, le véhicule frôla de se renverser, négociant avec peine les courbes serrées.

Après quatre jours d'épreuve, affamés, nous saisîmes l'occasion d'une pause de l'équipage pour tenter de déterminer notre position. À ma descente du camion, la poussière qui se souleva une fois mes pieds posés au sol me prit par surprise. La ville qui nous accueillait était plongée dans une obscurité pesante, dont on distinguait à peine le scintillement des néons, révélant des échoppes et des magasins barricadés pour la nuit.