Captifs dans le Panshir



Après une journée à suivre la route en parallèle, nous établîmes notre campement à flanc de falaise, l'épuisement nous ayant vaincus au point de négliger de monter la garde à tour de rôle. Choegya s'abandonnait à un sommeil profond, agité et préoccupé, je me tournais et me retournais sans cesse.
Les deux hommes m'assaillirent de coups de botte et de crosse pour me contraindre à relâcher l'étreinte sur le bras du geôlier.
Soudain, le craquement de pas sur les pierres me fit dresser l'oreille. Dans un réflexe, je secouais Choegya pour l'alerter, mais avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, un violent coup sourd me fit perdre connaissance.
À mon réveil, je me retrouvai dans une cellule obscure, faiblement éclairée par la lumière timide qui se frayait un chemin à travers un soupirail grillagé. Les murs suintaient d'humidité et une forte odeur de moisissure saturait l'air de cet espace restreint, qui ne mesurait guère plus de trois mètres dans chaque direction. Isolé et sans nouvelles de Choegya, je pris quelques instants pour reprendre mes esprits, du sang à peine séché coagulait à l'arrière de ma tête.
Quelques heures plus tard, la porte de ma prison grinça sur ses gonds, laissant entrer l'un de mes geôliers. Il m'apportait une maigre pitance : une galette de naan et un bol d'eau. Profitant de sa présence, je tentai d'obtenir des informations, mais il semblait avoir pour ordre de ne pas communiquer avec moi, me laissant ainsi dans l’ignorance.
Au moment où il s'apprêtait à verrouiller la porte, je bondis dans sa direction, espérant le surprendre et le renverser. Il se défendit en tambourinant sur la porte avec ses genoux. Le tumulte qui s'ensuivit attira l'attention des autres gardes ; deux hommes en salwars sombres accoururent à la rescousse. L'un d'entre eux portait un pakol serré sur la tête. Drapé d'un gilet sommaire, sa silhouette imposante se découpait nettement. À sa taille, un kalachnikov oscillait, semblable à ceux que nous avions maniés à Bamiyan lors de notre embuscade contre les talibans.
Les deux hommes m'assaillirent de coups de botte et de crosse pour me contraindre à relâcher l'étreinte sur le bras du geôlier. Les assauts successifs firent rapidement saigner mes blessures à peine cicatrisées. Un détail frappa alors mon esprit : contrairement à l'allure négligée des talibans, mes gardiens affichaient des barbes soigneusement taillées. Cette observation me fit réaliser que j’étais en présence de rebelles du Panshir. Rassemblant mes dernières forces, je tentai de leur parler en tadjik, espérant établir un lien.
« – Arrêtez, je ne suis pas un ennemi, je suis Lobsang, le fils de l’Aga Khan. » Cette phrase prononcée en tadjik les prit de court, interrompant brusquement leur assaut. Ils me donnèrent une chance d'expliquer mon histoire, suspendant leurs coups le temps d'écouter. Profitant de ce moment de répit, je pris une profonde respiration et continuai : « – Moi et mon ami Choegya, avons été envoyés par le gouverneur de Bamiyan, dans le but de solliciter votre aide face à la menace de l’offensive talibane. » Ces révélations mirent un terme aux violences auxquelles se livraient les deux Tadjiks, bien que leurs regards restent empreints de suspicion.
« – Pourquoi le gouverneur Qurban choisirait-il d'envoyer deux Wakhis pour plaider en sa faveur auprès de nous ? Votre armée manque-t-elle à ce point de soldats ? » gardant mon calme, je leur expliquai notre histoire, j’ajoutai que la fondation dirigée par mon père, l'Aga Khan, apportait un soutien financier à l'Alliance du Nord et aux milices tadjikes qui en font partie.
Le silence qui s'ensuivit fut lourd, le geôlier, jusqu'alors silencieux, saisit cette occasion pour se redresser légèrement. « – Je suis ici pour vous rencontrer et solliciter votre aide, » insistai-je. Le gardien, vêtu de son gilet, rétorqua d'un ton sceptique : « – Même si votre récit s'avère vrai, comment pourrions-nous assister les Hazaras ? Nous sommes déjà assiégés de toutes parts par les Talibans. »
Il prit une profonde inspiration avant de reprendre : « – Pour être tout à fait franc, nous envisageons de battre en retraite en nous repliant au Tadjikistan. » La situation des forces rebelles semblait plus précaire que nous l'avions imaginé, mais il m'était impossible de retourner à Bamiyan sans avoir obtenu leur aide. « – Je vous en prie, conduisez-moi auprès du général Ouldarai. Les Wakhis ont toujours été de fidèles alliés et il me doit une faveur. Je suis certains qu’il ne demeurera pas insensible à notre cause. » Les deux hommes, d'abord réservés, écoutèrent attentivement : « – Ouldarai et ses guerriers ne sont pas encore hors de combat, nous le savons. Ils rassemblent leurs forces pour une offensive. » Saisissant l'importance de notre message, ils changèrent rapidement d'attitude. Immédiatement, ils nous libérèrent de nos liens, présentant leurs excuses pour cette méprise. Ils nous conduisirent ensuite à la cellule où Choegya était détenu et le libérèrent également.
Ils nous invitèrent ensuite à nous asseoir, préparant du thé dans leur modeste logis composé seulement de deux pièces au-dessus et de cellules dans le sous-sol. Malgré leur hospitalité soudaine, le cadre restait des plus sommaires. Alors que nous nous installions, l'ambiance se détendit légèrement autour des tasses de thé fumant qu'il venait de préparer. L'homme au gilet, prit la parole d'un ton sérieux.
« – Nous vous conduirons jusqu'à la frontière avec le Tadjikistan. De là, la route est sûre, et vous pourrez atteindre sans mal le camp d'Ouldarai. Nous partirons dès l'aube. Cette position est trop exposée à l'avancée des Talibans, je doute qu'elle ne tienne encore longtemps. »