Aux Confins du Tadjikistan



Au lever du jour, nous entamions notre voyage en compagnie de Daler, l’homme au gilet. La frontière avec le Tadjikistan se trouvait à plusieurs jours de marche, et la région était toujours contrôlée par l'alliance du nord, échappant ainsi aux talibans. Alors que nous avancions, le terrain devenait de plus en plus austère, annonçant notre approche de la frontière.
De l’autre côté de la vallée, le paysage était désolé, sans couleur, sans arbre. Les montagnes étaient sèches et la route n’était autre qu’une piste poussiéreuse.
Les deux mâts qui marquaient la séparation entre le Tadjikistan et l’Afghanistan se dressaient au fond d'une vallée, arborant respectivement les drapeaux de l'Alliance du Nord et du Tadjikistan. Les deux bannières se ressemblaient beaucoup, à l'exception d'une bande noire sur le drapeau de l'Alliance du Nord à la place de la bande rouge présente sur celui du Tadjikistan. En traversant cette ligne symbolique, le changement de paysage fut immédiat et frappant. De l’autre côté de la vallée, le paysage était désolé, sans couleur, sans arbre. Les montagnes étaient sèches et la route n’était autre qu’une piste poussiéreuse. Au bout d’une heure nous atteignons un immense canyon.
Alors que nous progressions sur la piste, le paysage se transformait. Les collines rouges vives laissaient place à un sol ocre et à un vent glacial. Après une légère descente, nous nous retrouvions dans un monde blanc, marchant sur une piste de gravier en pente, recouverte de neige et de glace. À mesure que nous prenions de l'altitude, la vallée s'élargissait et le paysage devenait de plus en plus irréel. Bientôt, la neige recouvrait entièrement la piste, donnant l'impression que le monde s'arrêtait.
Le ciel se confondait avec la terre, les contours des montagnes devenaient flous et la piste n'était plus qu'une ligne vague se perdant dans l'horizon. Après une journée de marche, la neige se faisait plus rare, les pentes devenaient plus douces et les pierres réapparaissaient. Tandis que nous progressions, le paysage commençait à se métamorphoser ; les collines douces et arrondies offraient un contraste saisissant avec les pics abrupts et enneigés du glacier Fedtchenko, culminant à plus de trois mille mètres d'altitude. Suivant la piste, nous nous dirigions vers Kalay-Khodzha, où se trouvait le camp du général Ouldarai.
Face à nous s'étendaient des plaines aux couleurs douces, mêlant le jaune et le vert, bordées par des crêtes enneigées. Nous nous arrêtions au bord d'un lac, dont les eaux sombres scintillaient sous les derniers rayons du soleil. Alors que nous admirions ce spectacle, le calme s'installa, enveloppant le paysage d'une quiétude palpable. Aucun souffle de vent ne se faisait sentir, l'atmosphère était pure et l'air sec. À la surface, l’eau se reflétait comme dans un miroir le paysage grandiose des sommets du glacier Fedtchenko dont le pic Samuni écrasait les autres cîmes par sa hauteur.
Après avoir fait une pause de quelques heures au bord du lac, nous reprenions notre route et traversions quelques villages tadjiks, où d’innombrables pierres tombales longeaient la route. Intrigué, Choegya demanda à Daler la raison de l'emplacement de ces tombes. Daler, qui avait été étonnamment silencieux depuis l'Afghanistan, finit par lâcher : « – On dit des Tadjiks qu'après avoir vécu toute leur vie en tant que nomades, ils ne s'installaient définitivement qu'après leur mort. Leur lieu de sépulture doit être le long de la route pour pouvoir observer le passage des caravanes. »
Le jour suivant, nous parvînmes enfin au village de Kalay-Khodzha, où se trouvait le campement d'Ouldarai. Daler nous présenta à Ouldarai, qu'il connaissait bien pour avoir combattu avec lui par le passé. Il nous indiqua une yourte entourée d'arbres nus et épais, posée sur un sol enneigé. La porte de la yourte, colorée et ornée de motifs, marquait l'entrée, tandis que des fanions de prières flottaient de chaque côté dans la brise froide. En nous approchant, nous entendions les hennissements d'un cheval qui se trouvait derrière la yourte.