La grotte Qoul-i-Akram



La tente de Namgar, érigée au centre du promontoire, faisait face aux vents qui balayaient la vallée. L’étoffe de la yourte, ornée de motifs évoquant l’histoire des steppes, enrobait l'espace. Autour de cette structure, des pots en terre cuite étaient disposés à intervalles régulier. À l'intérieur, Namgar, assis en tailleur derrière un foyer, animait l'espace en projetant ses ombres mouvantes sur les parois de la tente. La blancheur de ses vêtements en peau de mouton contrastait avec les motifs colorés qui ornaient les murs intérieurs.
Namgar poursuivit l’inspection de l'os, avant de le replacer dans le feu, son expression trahissant une terreur profonde.
La respiration était difficile, une odeur âcre et puissante saturant l'air de la tente. Une résine se consumait derrière Namgar, elle semblait saturée l'espace d'une aura mystique et apaisante. À mon entrée, Namgar m'accueillit d'un signe de tête, avant de saisir délicatement une omoplate de mouton préalablement nettoyée. Tandis que je m'installais en face de lui, l'atmosphère devint plus solennelle, prélude à un moment de divination. Il me fixa un long moment puis plongea l'os dans les braises, tout en murmurant une incantation :
« – J'ai une révélation à vous faire. » Il se plongea ensuite dans un silence contemplatif. Une fois l'os noirci par le feu, il s’en saisit, souffla doucement sur les cendres et se mit à l'examiner attentivement à la lumière du foyer.
Namgar poursuivit l’inspection de l'os, avant de le replacer dans le feu, son expression trahissant une terreur profonde. Intrigué par son trouble, je l'interrogeai : « – Qu'avez-vous vu ? » D'une voix basse, presque inaudible, Namgar me confia : « – Vous ne me croirez pas, mais j'ai vu la source. » Il retira à nouveau l'os des flammes, le scrutant avec une intensité renouvelée, entrecoupée de prières et de gestes mystérieux. Puis, d'une voix chargée d'émotion, il commença à se confier. « – Vous vous souvenez de la grotte Qoul-i-Akram, où vous êtes venu me retrouver ? »
« – Oui, » répondis-je, intrigué. « – Eh bien, après votre départ vers le nord, poussé par la curiosité, j’ai voulu comprendre d'où provenait cette poudre qui emplissait la grotte. J'ai alors découvert un étroit escalier dissimulé, menant vers d'autres cavités en contrebas. »
Namgar fit une courte pause. « – La descente était périlleuse, chaque pas faisait vaciller le sol sous mes pieds. Plus je m'avançais dans les profondeurs, plus j'étais enveloppé de cristaux blancs scintillants. La grotte donnait l'impression de respirer, la température s'accroissait, rendant la descente suffocante. » Je coupai Namgar, intrigué : « – Mais comment vous êtes-vous orienté sous terre, sans aucune source de lumière ? » Les yeux de Namgar brillèrent d'une lueur étrange : « – La poudre d' éther, qui imprègne les grottes et les galeries de Bamiyan, possède des propriétés phosphorescentes. Elle illuminait le chemin, guidant mes pas dans l'obscurité. »
Il poursuivit : « – Peu à peu, la galerie s’était muée en un un dédale de forme étrange, où des stalactites pendaient telles des dents géantes. Les parois semblaient se resserrer, comme si la grotte cherchait à m'avaler. Englobé dans une obscurité totale, seul le goutte à goutte de l’eau venait rompre le silence. »
Légèrement irrité par les divagations de Namgar, je l'interrompis pour lui demander où il souhaitait en venir avec son histoire. Namgar, imperturbable, continua son récit. « – Après plusieurs heures de marche, l'étroit couloir s'ouvrit soudain sur une immense salle, dont les voûtes scintillaient sous un éclat de lumières semblables à des diamants. Le son de mes pas résonnait de nouveau, tandis que les murs se paraient de gravures et malgré le temps qui avait estompé les pigments, des vestiges de couleurs vives subsistaient par endroits. Tout autour de moi, je vis jaillir des effluves bleuâtre émanant d’une roche près de la stèle, emplissant la cavité d’une vapeur toxique qui alourdissait l’air. »
Namgar semblait absent, comme transfiguré par son récit. Il paraissait emporté par le flot de ses propres paroles, je l’écoutais dérouler son récit. Sa voix, à peine plus qu'un murmure, ajoutait une dimension presque sacrée à l'atmosphère déjà lourde d'encens : « – C'est là que le cœur de l'éther s'est dévoilé, englouti par la poudre bleuâtre qui envahissait mes narines,» dit Namgar, s'arrêtant un instant. « – Petit à petit, j'atteignais un état de conscience supérieur, où le temps se métamorphosait en espace, et où chacune de mes actions avaient des conséquences impossibles à mesurer. » Expliqua-t-il. « – Chaque geste, chaque choix que je faisais avait le pouvoir de bouleverser le cours des choses. »
Le récit de Namgar devenait presque lunaire, surréaliste. Il continuait à me décrire la façon dont il avait perdu pied dans cette mer de possibilité révélé par le pouvoir de pleine conscience de l'éther. Il me rapporta avoir eu la sensation d’être au carrefour de multiples chemins, chacun menant vers un avenir différent.
Pour étayer ses dires, Namgar me montra un fragment de diamant d'Éther, soigneusement préservé sous une cloche. « – Comment avez-vous réussi à ramener cette pierre à la surface ? » M'exclamai-je, stupéfait. « – Je le devais, » répondit-il avec conviction, « – j'ai ressenti une attirance pour ce diamant, une force à laquelle il m'était impossible de résister. »
Lorsque Namgar posa ses mains sur la cloche recouvrant le diamant d'Éther, son visage se figea dans une torpeur glacée. Autour de lui, une brume de cristaux bleus diffusait une lumière bleutée et glaciale saturant la pièce. Je regardais, fasciné, les mains de Namgar établissant une connexion entre son esprit et le diamant d'Éther. Ses vaisseaux sanguins se dilataient, s'entrelaçant avec la poudre d'Éther qui semblait traverser le verre de la cloche, unissant les fibres de sa chair avec l’organique et le minéral.
Namgar était plongé dans une transe où le temps semblait se dissoudre, transformant les heures en jours, tandis que je le regardais, son corps inerte, prostré, absorbé par des visions que seul lui pouvait percevoir. Quand il émergea enfin de cet état et retrouva ses esprits, il me confia, avec une voix encore hébétée : « – Lobsang, » il reprit d'une voix tremblante, « – les visions... notre quête est loin d'être terminée. » Préoccupé, je m'empressai de répondre : « – Qu'as-tu vu ? Raconte-moi ce que tu as vu. » Namgar, la voix basse, murmura : « – Pas maintenant, mais la prophétie vous sera révélée. »