Bâmiyân.

L'Ascension de Namgar

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Antoine Stevenson
Antoine Stevenson

Le lundi suivant, je pris la décision de me mêler à la foule rassemblée autour de Namgar. Pour passer inaperçu, j'avais choisi de porter un chapan sombre et ample, accompagné d'un pakol large qui couvrait ma tête et cachait mon visage.

Parmi les fidèles, des bannières arborant une roue du dharma dorée sur un fond bleu se détachaient par endroits.

La mobilisation des fidèles avait atteint un niveau inédit, surpassant les rassemblements précédents. La foule trépignait d'impatience à l'idée de l'arrivée de leur messie. À ma grande surprise, de nombreux cavaliers sogdiens s'étaient également joint à l'assemblée. Contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer, les soldats présents n'étaient majoritairement ni Kirghizes ni Tibétains ; en fait, la plupart des légionnaires que je rencontrais étaient ouzbeks, vraisemblablement de nouvelles recrues dénichées par les hommes d’Ouldarai.

Parmi les fidèles, des bannières arborant une roue du dharma dorée sur un fond bleu se détachaient par endroits. La plupart des personnes présentes restaient en silence, dans l'attente de l'apparition de Namgar.

Je m'étais glissé au cœur de la foule, cherchant à préserver mon anonymat. Environ vingt rangées de fidèles me distançaient du promontoire où Namgar fit son entrée. D'un signe de la main, il salua les participants, puis s'installa en tailleur sur l'estrade. Prenant une grande inspiration, Namgar inhala une substance bleutée, que j'identifiai comme étant la poudre d'éther.

Après un long silence prolongé, il entonna un mantra en sanskrit,que seuls lui et quelques légionnaires tibétains étaient à même de comprendre : « Om Hanumate ramati, » déclara-t-il. La foule, sans attendre d'instructions, répéta ses paroles après lui dans un chœur amplifié par l'écho des montagnes.

Namgar continua, « Oh mahavira vikrama bajrangi, kumati nivar sumat ke sangi,» traduisant son invocation par : « Nous rendons hommage à Hanumate, le grand héros, vaillant et puissant comme la foudre. Celui qui écarte les pensées néfastes et se fait le compagnon des esprits vertueux. »

Une fois de plus, sans qu'il en donne l'instruction, la foule reprit spontanément ses paroles en chœur. Après avoir prononcé ses mantras en sanskrit, Namgar continua son discours en tadjik : « – Beaucoup parmi nos tribus de haute Asie se remémorent l'époque où leurs ancêtres servaient à la cour des Khans mongols. » Un silence attentif s'installa, Namgar, apparemment satisfait de l'impact de ses mots, continua : « – Ces générations de nomades et d'éleveurs ont conservé un respect et une affection profonde pour le grand Khan, que certains vont même jusqu'à considérer comme un membre de leur propre famille. »

Je sentais qu'il commençait à perdre l'attention de la foule, et moi-même, je me demandais où il voulait en venir. Puis, avec force, il lança à l'assemblée : « – Le moment est venu de faire renaître l'empire des grands Khans et de faire flotter l'emblème de la roue du Dharma sur tous les minarets d'Asie centrale. »

J'attendais une réaction du public face à de telles déclarations, mais à ma grande surprise, la foule, captivée par Namgar, semblait embrasser ses appels à la guerre sainte. Il continua alors : « – Notre première conquête sera la vallée de Ferghana, une terre riche et fertile. Elle regorge de trésors d'or et d'argent, et des millions d'âmes nous y attendent. Nous traverserons ces terres, ralliant à notre cause les peuples de la Bactriane jusqu'au lac Issyk Koul, Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks, Mongoles, formant une armée de dix millions d'hommes prêts à propager la véritable foi aux confins de la haute Asie. »

« – Nous serons invincibles, nos adversaires fuiront devant notre avancée et la magnifique Samarcande s'inclinera devant la force de notre armée. » L'ardeur dans le regard de Namgar prenait une intensité presque mystique à mesure qu'il achevait son discours. « – Dans chaque région conquise, nous nommerons un vice-roi pour y exercer notre autorité. Chacun de ces souverains viendra à Bamiyan pour y apporter son tribut. » À l'énoncé de ces paroles, un élan de joie traversa la foule, des cris d'acclamation fusèrent tandis que des bannières bleu ciel et or étaient agitées de tous côtés. Des fidèles s'enlacèrent spontanément, portés par l'émotion. Profitant de ce moment de liesse collective, je saisis l'occasion pour m'éclipser discrètement avant d'être reconnu. Après avoir assisté à cette cérémonie, il était évident pour moi que Namgar représentait un danger pour la stabilité de l’empire.