L'Aube de la Croisade Sogdienne



Il devenait urgent de renouer le dialogue avec Namgar dans l'espoir, même ténu, de le ramener à la raison. Ainsi, sans préavis en cette fin d'après-midi, je me dirigeai vers sa yourte. À mon arrivée, Namgar resta impassible. Dès le seuil franchi, l'intérieur de la yourte se révélait dans toute sa splendeur.
Captivé, je contemplais les parois richement drapées de tapisseries opulentes, où le rouge profond se mêlait à des motifs floraux complexes et fascinants.
Captivé, je contemplais les parois richement drapées de tapisseries opulentes, où le rouge profond se mêlait à des motifs floraux complexes et fascinants. Dominant cet espace de vie, un crâne d'animal, suspendu avec une prestance majestueuse et encadré par des tapis géométriques, instaurait une atmosphère solennelle, quasi cérémoniale.
Des rideaux éclatants, minutieusement brodés, pendaient des murs de la yourte, transformant l'espace en un cocon vibrant, à l'abri des tumultes du monde extérieur. Au centre, Namgar se tenait debout, dos tourné vers moi : « – Je vous attendais, » lança-t-il sans se retourner. Sa voix, calme et posée, me dérouta, je lui offris une accolade, s'efforçant de masquer mon hésitation. C'est alors qu'il murmura, presque à l'oreille : « – Je vous ai reconnu ce matin, pendant la cérémonie. »
Légèrement pris au dépourvu, je fis un pas en arrière. « – Lobsang, tout ce que j'ai entrepris, c'était pour vous. » Il marqua une courte pause, pesant ses mots avant de poursuivre : « – Le maintien du statu quo était intenable, vous le savez aussi bien que moi.
Après notre lutte acharnée contre les talibans, quel était votre plan ? Laisser Shahram Qurban prendre les commandes ? » Sûr de lui, je le laissais continuer son monologue: « – C'est un homme respectable, et sa nièce est certes charmante, mais il lui manque cette étincelle d'ambition. Lui confier les rênes du pays reviendrait à voir les talibans revenir à la charge dans peu de temps. »
Je lui répondis en pesant mes mots : « – Vous avez orchestré un coup d'État en mon absence, en renversant nos alliés Hazara» Namgar laissa échapper un sourire narquois, ses yeux pétillant d'une malice contenue. «Imaginez plutôt que j'ai pris soin de préserver la pureté de vos mains.
Votre honneur demeure intacte, permettez-moi de faire office de bouc émissaire, laissez-moi être perçu comme le fanatique imprévisible. Votre rôle sera de suivre mes pas avec une indignation feinte, sans jamais vraiment défaire ce que j'ai tissé. De cette façon, vous maintiendrez votre influence tout en étant vénéré par le peuple comme le porteur de paix, l'incarnation de la sagesse. »
Namgar avait toujours un coup d'avance sur moi. « – Vous imaginez sérieusement que je vais porter le chapeau pour votre croisade en Asie centrale ? N’y pensez même pas. » ajoutai-je sèchement. « – Patience, Lobsang, » rétorqua-t-il avec une voix empreinte de sérénité. « – L’engagement de nos guerriers exige une cause, un dessein qui les transcende. Entreprendre la conquête des territoires voisins pour y diffuser les préceptes du bouddhisme sera un vecteur d’unité. Dans le cas contraire, notre inaction nous désignera, immanquablement, comme proies aux alliances ennemies. »
« – Avez-vous des preuves pour étayer vos propos ? Jamais personne ne m’a jamais alerté sur l’imminence d’une menace venant d’Asie centrale. » S'installant avec assurance sur la chaise en face de moi, Namgar capta mon regard : « – Les autorités chinoises redoutent que notre présence ne sème le trouble dans la région. Pékin avait fondé de grands espoirs sur le gouvernement taliban, comptant sur lui pour assurer la stabilité du pays et faciliter leurs ambitions, notamment dans l'exploitation minière. »
Nos voisins Ouzbeks et Kazakh voient aussi d’un mauvais œil notre régime et craignent l’implantation d’une secte millénariste à leurs portes. D’après mes sources, que je ne peux pas vous divulguer, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan seraient sur le point de mettre sur pied une coalition soutenue et équipée par la Chine dans le but de reprendre l’Afghanistan afin d’y placer un régime ami. « – Si nous ne prenons pas l’initiative de l’attaque, nous serons obligés de combattre pour nous défendre. »
Je n’avais d’autres choix que de céder, les arguments de Namgar pesaient lourd, impossible d'ignorer son influence tant sur la population que sur des pans entiers de la légion sogdienne. Je suspectais par ailleurs Namgar d'avoir tissé un réseau clandestin d'espions, fort de ses relations au sein de la communauté Wakhis. Mon choix était fait, impossible de faire marche arrière. Dans deux jours, je donnerais l'ordre à la grande légion sogdienne de marcher sur Samarcande.