Bâmiyân.

La Traversée de l'Ouzbékistan

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Antoine Stevenson
Antoine Stevenson

Après la conquête du Kirghizstan, il fut convenu de retourner à Bamiyan en compagnie de Choegya et d’Ouldarai, escortés par une vingtaine de cavaliers sogdiens. Nous partîmes au point du jour, abandonnant Samarcande. Tous nos effets personnels tenaient dans des sacs que nous approchâmes sur l'une des selles.

Le ciel était dégagé et étoilé. Nous fîmes halte dans un ravin profond, bordé de rochers et de buissons secs.

« – Il faut que nous fassions plus de 1400 kilomètres, » affirma d'un ton très calme Choegya « – Cela fait un long voyage... » Observai-je sans trop d'enthousiasme. « – Guère plus d'une semaine, peut-être moins, » se borna-t-il à répondre. Cette nuit-là, nous dormîmes dans la plaine. La nuit, le froid était particulièrement vif. Sous les pieds de nos chevaux, le sol sec se craquelait et se détachait soudain, avec un bruit de terre broyée. Ici et là, des faisans s'envolaient paresseusement, des lièvres suivaient en flânant le lit asséché des rivières. Le soir, le vent se mettait à murmurer et à siffler.

Au-dessus de nos têtes, le ciel était dégagé et étoilé. Nous fîmes halte dans un ravin profond, bordé de rochers et de buissons secs. Quelques branches mortes et racines desséchées nous fournirent de quoi allumer un feu, et nous pûmes préparer le thé et le dîner. Puis Choegya choisit avec soin deux grosses pierres, dont il aplatit un côté à l'aide de sa hache.

Il les disposa parallèlement, les deux faces taillées se faisant face, puis les fixa ensemble à l'aide de deux gros coins enfoncés à chaque extrémité, qui les maintenaient séparées l'une de l'autre par une dizaine de centimètres. Dans la large fente ainsi obtenue, il plaça des charbons ardents; immédiatement le feu se mit à courir sur toute la longueur des pierres.

« – Maintenant, le feu va durer jusqu'à demain matin, » me dit-il. « – Lorsque j'extrayais l’or dans le lit des rivières, nous nous couchions toujours auprès d'une ligne de feu. Vous verrez cela est très efficace. »

Avec des couvertures et des peaux, Choegya fabriqua ensuite un abri incliné qu'il disposa sur deux montants, créant un abri rudimentaire. Sur le sol sablonneux furent disposées d'autres couvertures où l'on étala les selles et les tapis. Accommodé de la sorte, Choegya put s'asseoir et enlever ses vêtements, bientôt, je vis la sueur perler sur son front.

« – À présent, il fait bon et chaud ! » s'écria-t-il en s'épongeant le cou. Ce fut bientôt à mon tour d'ôter mon salwar, enfin, je m'étendis pour dormir sans aucune couverture, tant les pierres chauffées et la ligne de feu nous protégeaient confortablement du froid nocturne qui régnait dehors.

Au cours de nos étapes quotidiennes, Choegya me raconta l'histoire de ses voyages entre le Tibet et la vallée de la Hunza, à la recherche d’or. Choegya était l’un de ces prospecteurs qui avaient découvert les plus riches mines d'or mais continuaient à vivre modestement. Il évita de me dire pourquoi il avait quitté le Shimshal et je compris à ses manières qu'il désirait garder son secret.

Partout, le sol était marqué par les empreintes des lièvres qui peuplaient les buissons secs, et l'on voyait ici et là surgir sans méfiance devant nous ces petits hôtes des terres arides au pelage brun. Parfois, c'était la queue d’un fennec tapi pour nous guetter derrière un rocher.

Deux jours après notre départ, alors que nous progressions sous un ciel d'un bleu exceptionnel, Choegya pointa du doigt, à deux kilomètres devant nous, un grand nuage brun et mouvant. Intrigués, nous nous demandions tous de quoi il pouvait s'agir. Nous n'en avions aucune idée. Sans aucun doute, le nuage se déplaçait et tout semblait indiquer une tempête de poussière.

« – C’est un nuage de sauterelles, » s'écria Choegya. « – Il vaut mieux ne pas se retrouver dedans, restons donc où nous sommes. » Nous sommes descendus de nos montures, posant pied à terre. Nous couvrions nos têtes avec des salwars pour nous protéger.

L'éclat du soleil fut rapidement occulté par des myriades de sauterelles convergeant vers nous. Nous leur tournions le dos, serrés les uns contre les autres pour limiter notre exposition. Les sauterelles tombaient sur nous avec un crépitement incessant, envahissant l'espace tout autour. L'air était saturé du bourdonnement de leurs ailes.

Nous avons dû attendre plusieurs heures avant que le gros des sauterelles ne soit passé. Quand le soleil recommença à briller, les criquets jonchaient le sol autour de nous. Certaines sauterelles bougeaient encore tandis que d'autres semblaient mortes. Nous secouâmes nos salwars, et des douzaines de sauterelles en tombèrent. Elles avaient trouvé le moyen de se glisser dans nos poches, nos manches, et même dans les jambes de nos pantalons.

Nous parcourions depuis déjà près d'une semaine les étendues arides du sud de l'Ouzbékistan. Nos réserves d'eau commençaient à s'épuiser, semant une vague d'angoisse dans notre groupe. Chaque matin à l'aube, le soleil dissipait le froid nocturne et illuminait les sommets des dunes de sable, tandis que de longues ombres s'étiraient à travers la vallée. Pour combattre notre peur et la fatigue, nous pressions le pas de nos chevaux, espérant avancer le plus rapidement possible pour échapper à la chaleur accablante de midi.

Lorsque la chaleur devenait insoutenable, nous plantions des bâtons dans le sol et y suspendions nos salwars pour nous créer des abris improvisés contre le soleil. Épuisés par la chaleur, chacun d'entre nous, suivait automatiquement le rythme imposé par les chevaux. Avec Ouldarai en tête, nous poussions le convoi toujours plus loin. Après trois jours éreintants dans le désert aride, l'inquiétude grandissait parmi nous. Nous décidâmes alors de privilégier les chevauchées nocturnes, profitant de la relative fraîcheur des nuits pour avancer.

S’orienter en se fiant aux étoiles s’avérait difficile. Nos réserves d’eau avaient atteint un seuil critique et l'horizon offrait un vide implacable. J’encourageais les troupes à poursuivre leur avancée d’une voix rauque, tous espéraient découvrir très vite les eaux bleues de l’Amou-Daria.

Au sixième jour de notre périple, un cavalier sogdien, affaibli par l'épuisement, tomba de son cheval. Sans attendre de l'aide, il se releva difficilement et reprit sa place dans le convoi. Peu après, un deuxième légionnaire s'effondra aussi. Cette fois, personne ne s'arrêta pour l'aider à se relever, la fatigue ayant pris le dessus sur la solidarité.

Le septième jour, à l'aube, alors que nous avancions, une silhouette émergea au loin. Après des heures de marche éprouvante, un sentiment de soulagement intense nous submergea à la vue des eaux bleues de l’Amou-Daria. « – Ici, nous nous trouvons à plus deux cent kilomètres de Bamiyan. » M’indiqua Choegya en désignant au loin la ville de Mazar-e-Charif de l’autre côté de la frontière.

Nous passâmes deux jours à Mazar-e-Charif, le temps de reprendre des forces et de rassembler les provisions pour la suite de notre voyage. La ville, avec ses ruelles et ses marchés colorés, offrait un contraste saisissant avec la monotonie des plaines que nous avions traversées. L'ombre du majestueux sanctuaire de la Mosquée Bleue semblait veiller sur nous, ses dômes étincelants brillaient sous le soleil.