Choegya



Spendiar me confia connaître un Tibétain nommé Choegya qui pourrait être intéressé par notre entreprise. Je lui demandai d'arranger une rencontre avec Choegya le lendemain, pour s’entretenir avec lui de notre projet. Alors que la réunion touchait à sa fin j’étais frappé devant le peu d’empressement de l’assistance, je m'apprêtais à lever la séance quand un wakhis qui se prénommait Yamar déclara vouloir se joindre à nous.
Choegya, issu de la minorité tibétaine, était venu tenter sa chance dans le village de Shimshal, au nord-ouest de la vallée de la Hunza
Il paraissait avoir à peine une vingtaine d'années arborant de long cheveux noirs tressés. Ses mains jeunes déjà abîmées par le travail témoignaient de ses conditions de vie difficiles. Après la clôture de la séance, je pris le temps de discuter avec trois volontaires alors que la foule se dispersait progressivement en dehors de la crypte.
Je suggérai à Spendiar d’arranger une rencontre avec Choegya dès le lendemain pour ne pas retarder davantage notre départ. La possible présence d'informateurs durant notre rassemblement pouvait attirer l'attention des autorités, nous poussant à précipiter nos actions. La nuit suivante fut enveloppée d'un climat de suspicion, l’idée d’une trahison par un informateur pesait sur nous. À l'aube, en quittant notre cachette pour retrouver Choegya, nous scrutâmes avec méfiance les passants, redoutant qu'un espion ne repère le lieu de notre prochaine réunion.
Avec Spendiar à mes côtés nous fîmes connaissance de Choegya dans l'arrière-cuisine d'un restaurant de Gulmit. Alors que les aides-cuisiniers s'affairaient à découper des tranches d'un mouton fraîchement équarri, nous nous installâmes autour d'une table basse, partageant un thé accompagné de naans.
Au premier abord Choegya m’apparut trop chétif pour se joindre à notre expédition, ses yeux noirs et perçants posés sur un corps d'une grande délicatesse, lui donnait une apparence vulnérable. Cependant, il nous surprit en s'exprimant dans un tadjik impeccable, sans le moindre accent. Sa maîtrise de la langue nous étonna, et nous fûmes captivés par son récit.
Choegya, issu de la minorité tibétaine, était venu tenter sa chance dans le village de Shimshal, au nord-ouest de la vallée de la Hunza, en tant que Soniwal, les nomades de l’or de la vallée de la Hunza. Cette opportunité semblait prometteuse pour lui et sa famille à l'époque. Lui et ses associés avaient installé un campement précaire en bord de rivière. La cohabitation de ces familles tibétaines avec les chiites sédentaires de la vallée n’était pas toujours facile, mais les Soniwal ne s’installaient jamais plus d’un mois par an, avant de se diriger vers d’autres cours d’eau. L’or récolté était ensuite revendu par Choegya à Gilgit, la capitale régionale.
Un jour, alors qu’ils s’affairaient dans le lit d’une rivière pour y extraire le précieux métal, des soldats arrivèrent pour mettre un terme aux opérations d’orpaillage et arrêter Choegya et ses associés. Lors de l’arrestation, Choegya et sa femme furent brusquement séparés. Choegya fut emmené sans ménagement, sans même avoir la possibilité de dire au revoir à son épouse ni de savoir où elle était emmenée. Ce fut la dernière fois qu'il la vit; malgré ses nombreuses tentatives ultérieures pour la retrouver, elle semblait avoir disparu sans laisser de trace.
Après son arrestation, Choegya fut jugé de manière expéditive, accusé de subversion contre l'État, un chef d'accusation fréquemment utilisé pour réprimer les minorités ethniques, il fut condamné à cinq mois de travaux forcés. Ce jugement s'accompagna de la confiscation de tous ses biens, laissant Choegya démunie et sans ressources à sa libération.
Ces événements marquèrent un tournant tragique dans sa vie, le laissant non seulement privé de liberté mais aussi séparé de sa compagne et dépouillé de tout ce qu'il possédait. Le choc et l'injustice de cette expérience laissèrent des cicatrices profondes et une méfiance durable envers les autorités. Je saisis alors clairement les raisons qui poussaient Choegya à se rallier à notre cause et je remerciai Spendiar de nous avoir mis en contact avec son ami. J'insistai une fois de plus sur la nécessité d'agir rapidement et profitai de l'occasion pour revoir ensemble l'itinéraire que nous allions emprunter.