Bâmiyân.

Au Cœur du Karakoram

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Antoine Stevenson
Antoine Stevenson

Le cours de la rivière Hunza nous emporta loin de la ville. À travers le plateau désertique, les villages que nous traversions semblaient être des mirages. Des collines de plus en plus imposantes se dessinaient, nous guidant le long de la rivière Hunza qui s’élargissait jusqu’à former le lac Borith, dont les eaux turquoise reflétaient les cimes du Karakoram.

Nos pieds, endoloris par le froid et la fatigue, commençaient sérieusement à nous faire souffrir. Nous franchîmes le col de Mintaka, marquant la frontière chinoise.

Nous marchions sur les confortables pentes herbeuses autour du lac. C’était une zone de repos pour les oiseaux, et Choegya et Spendiar s’arrêtèrent net à la vue d’une centaine d’oies sauvages virevoltant bruyamment. Nous étions ici dans l’eldorado des territoires du Nord. Le Karakoram offrait souvent ce contraste entre une terre dure et généreuse et des havres de paix improbables arrachés aux pinacles de glace.

À travers la passe de Khyber, nous longions le parcours d’une ancienne piste. Nous passâmes devant des tentes délabrées appartenant à une famille Soniwal, réduite à rechercher quelques paillettes d’or en tamisant le sable avec des moyens rudimentaires. L’or drainé par la rivière Hunza provenait d’un riche filon dont l’origine demeurait inconnue. En regardant attentivement les parois du canyon, on pouvait apercevoir des grottes et même d’anciennes nécropoles bouddhistes.

À l'instant où nous nous apprêtions à sortir du canyon, un sentiment d'euphorie s’empara de notre groupe. «Regardez là-bas ! s’exclama Spendiar, les cîmes enneigées du mont Karun Kuh.» Au fond de moi, je redoutais que les glaciers ne s'effondrent lors de notre passage, tant ils paraissaient en équilibre précaire, presque suspendus dans le ciel. En nous rapprochant, le Karun Kuh se révélait avec de plus en plus de clarté, isolé, d'un blanc immaculé, ressemblant à un dôme de neige.

Après une après-midi de marche éprouvante, nous atteignîmes le village de Sost. Bien que de taille modeste, ce bourg se situait à la lisière du col de Mintaka et était la dernière ville au Pakistan avant la frontière chinoise. Les cultures et les maisons du village étaient harmonieusement séparées par des murs de pierre élevés sans mortier, parsemées de jolis abricotiers. Par son extrême éloignement, Sost avait encore tous les charmes d'un village rudimentaire. Les villageois avaient l’habitude de guider les caravanes qui remontaient les rives de la Hunza jusqu’au col de Mintaka, véritable porte sur la haute Asie.

Le village de Sost était tellement éloigné de la civilisation que l’itinéraire qui y conduisait avait dû être abandonné en raison de la présence persistante de bandits. Un nouvel itinéraire, contournant le mont Karun Kuh par l’est à travers la vallée de Shimshal et traversant le Khunjerab, avait alors été adopté. Nous décidâmes malgré les dangers de suivre l’ancienne route, qui nous permettrait de progresser sans nous exposer aux troupes chinoises et pakistanaises patrouillant à proximité du col du Khunjerab.

Nous nous apprêtions à souffrir car le col, situé à presque 5000 mètres, ne ménagerait pas nos efforts. Nous quittâmes Sost et commençâmes à nous hisser péniblement sur les pentes escarpées, sous la neige, avec moi ouvrant la voie suivi de Choegya et Spendiar. Au col de Mintaka, perdant la trace du chemin dans le brouillard, nous décidâmes de descendre droit dans la pente. Nos cartes approximatives ne nous étaient d’aucun secours, et nous nous engouffrâmes dans une vallée inconnue jusqu’à son tréfonds.

L’accès à la zone frontière, une bande d’une trentaine de kilomètres était réservée aux militaires, requérant un laisser-passer pour y pénétrer. « – À partir d’ici, nous entrons dans la clandestinité, il nous faudra redoubler de prudence. » Nos pieds, endoloris par le froid et la fatigue, commençaient sérieusement à nous faire souffrir. Nous franchîmes le col de Mintaka, marquant la frontière chinoise.

Toutes nos forces épuisées, nous nous résignâmes à installer un camp au fond d’une combe, où les pierres tombaient en nous sifflant aux oreilles. La journée suivante fut pluvieuse mais heureuse car après une très longue remontée, nous retrouvâmes enfin notre chemin. Le soir, nous nous couchâmes sous une énorme pierre côté chinois à proximité du hameau de Koktorok. Le lendemain, le beau temps fut enfin là, et nous laissa contempler la face Nord du Karakoram.

Il fallait être aveugle pour ne pas remarquer la frontière qui se dessinait à travers les cîmes. Les versants sud de sables ravinés contrastaient avec les faces glacées du Karakoram. Plus tard, nous escaladerions la quarantaine de kilomètres du glacier du Wakhjir.

La montée était classiquement épuisante quand le sable laissait sa place aux cailloux, les cailloux à la glace, la glace à la neige. Puis nous débouchâmes sur un haut plateau glacé. Le paysage y était arctique. Tel un énorme cairn de glace, les presque cinq mille mètres d'altitude du Wakhjir nous guidaient vers la direction du col. Le mauvais temps des derniers jours se révéla être une aubaine car la neige, bien que profonde, nous protégeait des crevasses et nous épargnait des longs détours.

Le col du Wakhjir marquait la ligne de partage des eaux entre l'Asie centrale et l'Asie du Sud, et nous le franchîmes après plusieurs heures d'efforts. Le coucher de soleil était splendide, tandis que la nuit promettait d'être glaciale. Devant nous se dessinait le corridor du Wakhan, nous conduisant directement à notre destination. Cette vision suscita un immense soulagement parmi nous. « – C'est là que tout commence, » murmurai-je.