Namgar le sorcier



Ils nous conduisirent alors vers un homme qu’ils appelaient le « sorcier ». Ce dernier était vêtu d’une peau de mouton qui l’enveloppait jusqu’aux genoux, sa tête couronnée d’une dépouille de vautour. Adossé à une grosse pierre, le visage marqué par le vent et le soleil, il égrenait machinalement les perles de son mâla entre son pouce et son index. Par moment, il ajoutait des bouses de yak pour nourrir les braises. Le crépitement du feu brisait le silence de la nuit tombante, et l'odeur du bois brûlé se mêlait à celle du thé frémissant dans une vieille théière en fonte, placée près des braises.
Submergé par la fatigue, j'étais comme captivé par les mots de Namgar, trouvant du plaisir à l'écouter parler. Après un moment d'hésitation, je rebondis sur son histoire.
Namgar prit un moment pour attiser le feu puis se tourna vers nous. « – Vous êtes Wakhis n’est-ce pas ? Vous venez de Chine, je présume? » « – C’est exact, nous nous attendions à rencontrer d’autres wakhis ici, la région a la réputation d’être contrôlée par vos hommes. » répondais-je. Tandis que Namgar nous servait le thé dans des bols en terre cuite, il tenu à préciser : « – Ce campement est sous le commandement du Shah Ethsan Sayed, pour ma part, je suis surtout un guide spirituel ici. »
« – Où peut-on trouver le Shah Sayed ? » enchaînai-je. Namgar reprit la parole. « – Ethan Sayed s'est établi, sur les rives de l'Amou-daria, au village de Qala Panja, pour être tout à fait précis. Il avait promis de revenir après un ou deux hivers... mais plus de cinq ans se sont écoulés depuis son départ. Ici, au camp, personne n' a suffisamment de charisme ou d'ambition pour prendre sa place. »
Namgar semblait éprouver un réel plaisir à nous narrer l'histoire de la vallée, tout en évitant soigneusement de parler de la sienne. «Savez-vous que cette vallée constituait un tronçon central de l'ancienne route de la soie ?« Devant notre silence, Namgar continua : « – C'est dans le sillage des caravanes qui longeaient le fleuve Wakhan que le bouddhisme s'est propagé à travers toute la haute Asie. »
Spendiar, un éclair d'excitation dans les yeux, l'interrompit : « – Vous parlez du moine chinois Xuanzang, n'est-ce pas ? » Namgar acquiesça. « – Exactement. Avant que Xuanzang ne contribue à la diffusion du bouddhisme dans la région, c'était le zoroastrisme qui prédominait ici, mêlé à des croyances animistes. »
Submergé par la fatigue, j'étais comme captivé par les mots de Namgar, trouvant du plaisir à l'écouter parler. Après un moment d'hésitation, je rebondis sur son histoire. « – L'histoire de votre vallée et son lien avec Xuanzang est fascinante. Vous savez, Spendiar et moi avons beaucoup étudié les écrits de ce moine. Dans son ouvrage «Rapport du voyage en occident», il mentionne une force souterraine capable d’élargir les champs de la perception qu'il localise dans la région de Bamiyan en Afghanistan. »
Namgar me fixa avec un air intrigué. Satisfait de l'effet produit, je continuai : « – L'existence de cette force souterraine pourrait expliquer l'essor du sanctuaire de Bamiyan. » Prenant une profonde inspiration, je pesai mes mots avec soin. « – Je suis convaincu que les pèlerins convergeant vers Bamiyan dans l'antiquité étaient en quête de cette présence surnaturelle. Et c'est précisément ce que nous sommes venus chercher. »
Namgar écoutait avec une attention soutenue, et je sentis immédiatement qu'il éprouvait une réelle affinité pour notre mission. Il avait vite perçu le caractère noble et essentiel de notre quête, qui résonnait avec ses propres convictions et son amour pour l'histoire de sa vallée. A la fin de la conversation, j’inclinais la tête en signe de gratitude: « – je suis heureux que vous compreniez Namgar. Notre quête vers Bamiyan pourrait bien être le début d’une nouvelle ère pour notre peuple. »
Enhardis par ces paroles, Namgar nous proposa spontanément son aide. « – Vous savez, je connais ces terres mieux que quiconque. je peux vous guider à travers le Wakhan jusqu’à Bamiyan. Il y a des passages qui échappent à la vigilance des talibans. »
Puis, Namgar se tourna vers les deux miliciens qui nous avaient escortés jusqu'à lui : « – Vous aussi, vous nous accompagnerez jusqu'à la sortie du corridor du Wakhan. » S'adressant ensuite directement à moi, il partagea son plan : « – Je propose que l’on prenne la route du nord, en passant par les cols montagneux. C'est un chemin ardu, mais qui nous permettra d'échapper à la surveillance des talibans. »
J'échangeai un bref regard avec Spendiar et Choegya. Spendiar, de son côté, hocha la tête en signe d'approbation. La proposition de Namgar était une aubaine inattendue, et son expertise serait précieuse pour traverser le Wakhan. Bien que cette région échappait au contrôle des talibans, elle restait parfois la cible d'incursions sporadiques.
Namgar reprit: « – il faut que tout le monde soit prêt à partir demain avant l’aube. Nous traverserons les vallées, franchirons les montagnes et si les dieux le permettent, nous atteindrons Bamiyan, sain et sauf. » Namgar demanda à l’un des miliciens d’aller chercher une pipe d’opium pour célébrer l’évènement. Dans le Wakhan, l’opium était bien souvent le seul moyen de s’affranchir des rigueurs du quotidien et constituait l’un des rares moments de bien-être.
Après le rituel, je m'éloignai du groupe pour méditer et réfléchir en solitude. Je contemplais le ciel étoilé, enveloppé dans un silence absolu, seulement interrompu par les croassements lointains de quelques vautours. Soudain, un mantra en sanskrit résonna, « – Om Tare Tuttare Ture Svaha. »
En me retournant, je réalisai que Namgar s'était lancé dans la récitation d'un mantra en sanskrit, pour implorer la protection des dieux pour notre voyage périlleux. Dans la pénombre, les suppliques de Namgar se fondaient avec la fumée, emportées au loin par la brise montagnarde qui commençait à souffler.